La vie en mode confinement durant laquelle toutes ces petites choses qui rythment notre quotidien sont suspendues, mises entre parenthèse, nous laissant traverser une expérience inédite, privés de nos repères habituels, confrontés à nous-mêmes, à nos manques, à nos peurs, à nos limites... Des moments de solitude intérieure où plus que jamais, un peu comme des enfants, nous avons besoin d'être rassurés, réconfortés, en un mot, se sentir en sécurité.
Privés du travail, des loisirs, d'activités sportives, des échanges et des rencontres offerts habituellement par le monde extérieur, d'une visibilité en vers le futur, l'expérience du confinement nous offre néanmoins l'occasion de réapprendre à trouver ces ressources à l'intérieur de soi. Car nous avons chacun à l'intérieur de soi tout un réservoir de beaux moments, de souvenirs, de rencontres, d'apprentissages sous forme d'images, de parfums, de sons et de sensations pour alimenter et rassurer notre cerveau et notre être entier dans un langage de métaphore, celui qu'il comprend le mieux.
Et pour cela, voilà un petit exercice. Avant de commencer, notez simplement votre ressenti du moment. Puis, installez-vous confortablement en position assise ou couchée, prenez le temps de sentir les poids de votre corps, les points d'appui, le mouvement de votre souffle... Sans rien changer. Peut-être vous pouvez faire quelques respirations profondes pour signaler au corps et au cerveau le passage en mode détente et porter toute votre attention sur la tête et le visage au niveau du front. Imaginez le front telle une source d'eau : un lac, rempli d'eau pure, claire, fraiche et transparente. Savourez cette sensation quelques instants et alors qu'elle continue à circuler dans l'ensemble du corps dirigez votre attention sur la zone des joues et des mâchoires. Si besoin, faites quelques grimaces pour laisser les muscles de cette zone se relâcher puis observez la façon dont votre langue commence à se détendre. Pour les uns elle s'alourdit, s'avachit presque puis s'étale sur le palais du bas, pour d'autres remonte vers le palais du haut ou encore autrement.
Et alors que votre langue et les mâchoires continuent leur propre expérience de la détente, laissez venir un souvenir de votre plat préféré. Peut être un plat qui s'associe avec le goût d'enfance, un plat préparé avec amour par quelqu'un d'important pour vous à ce moment-là de votre vie, associé à des souvenirs agréables. Prenez le temps de laisser venir tous les petits détails, laissez émerger les parfums, les couleurs, les images, les visages... tous ces petits détails qui redent cette expérience unique, précieuse... laisser tout cela remplir votre écran visuel, nourrir vos sens... Observez comment est cette sensation particulière de bien-être qui se réveille au contact de cette expérience. Est-ce que c'est doux, frais, agréablement lourd ou léger, voir flottant... Quelle est la partie de votre corps où ça résonne le plus : la poitrine, le visage, le ventre ou ailleurs... Une fois que vous êtes pleinement connecté à cette expérience de l'intérieur, vous pouvez vous servir de votre souffle pour en faire le plein à l'inspir et à l'expir laisser ces bonnes sensations circuler dans le corps... Prenez le temps. Savourez. Faites le plein. Revenez doucement dans ici et maintenant. Avant de rouvrir les yeux, notez comment vous vous sentez à l'instant.
Pour moi ces souvenirs gustatifs sont indissociables de mon enfance, des moments de joie, de partage, d'insouciance, de douceur, de voyage aussi... D'ailleurs ils sont certainement responsables de quelques kilos en trop. Et pourtant je ne les changerai pour rien. Et le simple fait de retrouver la couleur ambrée du thé noir servi dans des verres transparents durant les voyages en train en Russie soviétique, la chaleur brulante qui s'en dégage, la sensation d'un morceau du sucre trompé dans le thé chaud qui fond dans le palais, la voix de mon père et les paysages qui défilent à travers la vitre du train, le ronronnement monotone produit par les roues, tout cela me rassure, me berce, m'apaise, m'aide à retrouver mon rythme intérieur encore maintenant, me permet de mieux accepter mes états d'âme, les défis du moment présent.
Et vous, quelle est votre madeleine de Proust ?
Je ne peux terminer ce billet sans citer ce passage :
« Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray... quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »
A la recherche du temps perdus, Marcel Proust
!!! Il est important de souligner que l'objectif de ce petit exercice est de nous faire du bien, de nous renforcer de l'intérieur. Ce pourquoi, je vous conseille de ne pas aborder cette expérience du point de vue de nostalgie ou de regret de passé . Si jamais c'est difficile, il vaut mieux laisser cet exercice pour une autre fois.
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